Chronique économique du 21 juin 2005 |
Le
paysage de la croissance mondiale a peu évolué par rapport au trimestre
précédent. La Chine mène un train d’enfer, entraînant dans son sillage
les économies asiatiques hors Japon. Un peu plus loin, vient le peloton
américain, groupé autour de son leader U.S. Malgré quelques hoquets,
celui-ci maintient un rythme soutenu. Derrière, le Japon a stabilisé son
retard tandis que les Européens continuent de perdre du terrain.
Cet immobilisme apparent est toutefois trompeur. Pour reprendre
l’expression de Larry Summers, l’ancien secrétaire au Trésor de Bill
Clinton, le monde évolue dans une sorte « d’équilibre financier de la
terreur ». La forte croissance américaine se finance grâce à l’épargne
du reste du Monde. Les États-Unis affichent un déficit courant à hauteur
de 6% du PIB qui ne montre aucun signe de diminution. Les optimistes,
comme Ben Bernanke, le nouveau conseiller économique de la Maison
Blanche, diront que le déficit américain répond à un excès d’épargne
mondial ; les autres mettront en avant l’importance du déficit
budgétaire (4% du PIB) et la faiblesse du taux d’épargne des ménages
américains (inférieur à 1%).
Du côté chinois, la politique de taux de change fixe et de croissance
par les exportations, touche ses limites. L’accumulation des réserves de
change (600 Md$ fin 2004, plus d’un an d’importations), présente de nets
inconvénients. D’un côté, la stérilisation de réserves représente un
manque à gagner important pour les autorités chinoises. De l’autre, les
réserves non stérilisées viennent gonfler la masse monétaire. C’est
pourquoi les crédits continuent de croître à un rythme de 15% par an,
tandis que l’investissement représente plus de 50% du PIB. Les chiffres
chinois donnent le vertige et l’on ne sait pas vraiment si les autorités
maîtrisent la situation. Le risque est double : celui d’un
surinvestissement, phénomène déjà à l’œuvre dans certains secteurs comme
l’automobile, ou celui d’un excès DE demande débouchant sur de
l’inflation. Pour l’instant les prix à la consommation affichent une
hausse inférieure à 3.0% en g.a., mais des doutes subsistent sur la
pertinences de ces indices. D’autre part, la forte croissance chinoise a
aussi un coût pour le reste du monde qui voit le prix du pétrole rester
fermement au-dessus de 50$ le baril, sans parler des externalités très
négatives que représentent les différentes pollutions chinoises.
Comme d’habitude, le Japon et lA zone Euro ferment la marche. Le
diagnostic sur l’économie japonaise est très partagé suivant l’angle
sous lequel on la considère. En termes réels, le Japon semble avoir
renoué avec la croissance au T1 2005 (+0.6%). Mais ce résultat est
gonflé par la baisse du déflateur (-1.2% au T1 sur un an). En termes
nominaux, la croissance n’est plus que de 0.6%. Il est évident que le
Japon bénéficie d’un environnement exceptionnel grâce au voisin chinois,
débouché naturel pour les entreprises nippones. Toutefois, la
persistance de la déflation fait planer un doute sur la vigueur de la
reprise japonaise.
En apparence, la performance de la zone Euro n’est pas si mauvaise que
cela au T1 2005 puisque son PIB a progressé de 0.5%. En réalité, ce
chiffre ne signifie pas grand-chose. Avec une croissance de 1%,
l’Allemagne tire la zone Euro vers le haut. Mais la croissance allemande
est purement comptable ; elle résulte d’une forte baisse des
importations et d’une hausse des exportations, la demande domestique
étant nulle. En France, c’est le contraire : les exportations piquent du
nez alors que la demande domestique est à peu près correcte. Comme le
titrait récemment The Economist, l’Italie est le grand malade de la zone
Euro : victime de coûts trop élevés, elle subit la concurrence des pays
émergents sur ses exportations tandis que sa demande domestique est
également atone. La victoire du « Non » aux référendums français et
hollandais est peut être le signe que les Européens en ont assez des
piètres performances de leurs économies.
Trop de croissance en Asie, trop de déficits aux U.S., trop de chômage
en Europe. L’économie mondiale est sur un équilibre instable. Comment se
sortir de là ? Le scénario idéal verrait les États-Unis réduire leur
déficit budgétaire tandis que la Fed maintiendrait des taux bas. La
hausse de l’épargne nationale et la baisse du dollar qui en
résulteraient permettaient un ajustement en douceur de l’économie U.S.
Du côté asiatique, le passage à système de change plus flexible
permettrait de réduire l’accumulation de réserves de changes. Une
appréciation coordonnée des monnaies asiatiques donnerait du pouvoir
d’achat aux ménages et rééquilibrerait la croissance vers plus de
consommation et moins d’exportations. Un scénario plus négatif verrait
une crise de confiance sur le dollar, qui obligerait la Fed à monter ses
taux plus rapidement et plus haut qu’elle ne le souhaiterait. Ce
scénario paraît bien improbable aujourd’hui au regard de la force et de
la prospérité de l’économie U.S. Il a pourtant la faveur de grands
spécialistes de l’économie ouverte comme Barry Eichengreen ou de
responsables financiers comme Robert Rubin. On sait que les équilibres
instables peuvent se défaire très rapidement. En outre, les mouvements
sur les changes sont très rapides comme le prouve la chute brutale de
2004 et l’envolée récente du dollar.
Dans tous les cas, le déficit courant U.S. doit se réduire. Ce mouvement
s’accompagnera d’une dépréciation du taux de change réel américain ainsi
que d’une hausse du taux d’épargne. Toute la question est de savoir si
ce rééquilibrage se fera dans le désordre et dans la douleur ou s’il
effectuera en bon ordre, sans trop de volatilité. Il est encore trop tôt
pour se prononcer mais tabler sur la poursuite de la situation actuelle
ne semble pas un choix pertinent. Nous prévoyons un ralentissement de la
croissance mondiale en 2006, dans le sillage de l’économie U.S.
Il faut dire que la chance récente du dollar aura été le malheur de
l’euro. Les référendums français et hollandais ont précipité l’Europe
dans une crise de confiance dont l’euro a été le premier à faire les
frais. La dissolution de l’euro et le retour aux anciennes monnaies
nationales n’était jusqu’alors q’un pur fantasme de nationalistes
exaltés. Elle est devenue maintenant une possibilité, certes éloignée,
mais une possibilité tout de même. Soyons réalistes : le coût d’une
sortie de l’euro serait exorbitant pour les États lourdement endettés
comme la France et plus encore l’Italie. Entre la France d’avant 1999 et
la France de 2005, il y a une différence de taille. La première était
endettée en Francs alors que la deuxième est endettée en Euros. Un
retour au Franc se traduirait par une dépréciation de 20% du taux de
change et donc une hausse équivalente du rapport Dette / PIB. (cf.
tableau). C’est pourquoi la probabilité d’une forte crise de l’euro nous
semble inférieure à celle d’une d’une forte crise du dollar. Toutefois,
il est évident que la monnaie européenne doit maintenant payer une prime
de risque. Nous révisons donc en baisse notre objectif sur la parité
dollar / euro de 1.40$ à 1.29.
La baisse continue des rendements obligataires continue de susciter des
interrogations. On peut à la rigueur expliquer la baisse des taux longs
dans la zone Euro. Les rendements des emprunts d’État à 10 ans frôlent
aujourd’hui 3.0%, soit un recul de 40 pb sur six mois. Il n’y a là rien
de bien scandaleux. L’inflation dans la zone Euro, mesuré par l’indice
des prix à la consommation, ne dépasse guère 2.0%, la croissance de la
zone est en berne, et une baisse des taux de la BCE fait partie de
l’ordre des possibles. Il en va autrement pour les États-Unis. Depuis 30
juin 04, la Fed a remonté ses taux directeurs de 200 pb. Loin d’affoler
les investisseurs, la hausse des taux les a au contraire rassurés. Le
rendement du T-bond 10 ans est passé sur la période de 4.70% à 4.1%. On
peut arguer que la baisse des rendements annonce la baisse de la
croissance nominale future. Ce n’est pas impossible mais cela
signifierait que les États-Unis se « japonisent », c"e;est-à-dire
que la croissance nominale du PIB sera modeste sur les prochaines
années. Or il est difficile d’en voir les raisons. La croissance du PIB
U.S. sera d’environ 3.5% 2005 avec une inflation comprise entre 2% et
3%, suivant l’indice des prix retenu. Cela représente une croissance
nominale d’à peu près 6%.. Nous ne voyons pas par quel mécanisme la
croissance nominale retomberait à 4% prochainement, ce qui signifie plus
ou moins une récession aux États-Unis. Il faudrait pour cela que la Fed
remonte violemment ses taux. Or les forwards anticipent des fed-funds à
3.75% à la fin de l’année. Ce n’est pas ça qui fera ralentir l’économie
U.S. La courbe des taux prévoit-elle un ralentissement marqué que nous
ne devinons pas ? C’est possible, mais cela soulève au moins deux
objections : 1/ pourquoi les spreads corporates restent-ils aussi serrés
? On sait que les périodes de faible croissance, de creux de cycle,
voient les spreads s’élargir et rien de cela n’est à l’œuvre ; 2/ si la
croissance à venir U.S. s’annonce si modeste, comment se fait-il que la
baisse récente des rendements U.S. se soit accompagné d’un renforcement
du dollar non seulement contre l’euro, mais aussi contre le yen, le
dollar canadien, australien, etc ?
La courbe des taux n’est sans doute que le reflet des contradictions de
l’économie. À court terme, les perspectives sont toujours engageantes. À
moyen terme, d’inévitables rééquilibrages font peser une hypothèque sur
la pérennité de la croissance mondiale. Mais personne ne sait comment
s’effectuera la transition d’un régime à l’autre. Il serait toutefois
étonnant que la transition fasse l’économie d’une hausse des taux U.S.
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Méfions-nous des généralisations : les profits des entreprises ont
progressé, certes, mais toutes n’ont pas connu la même fortune. Nos
Stratégistes ont montré que trois secteurs (Banques, Pétroles,
Assurances) expliquaient 45% de la hausse des bénéfices du DJ Stoxx 600
(cf. graphique). En gros, la hausse du marché en 2005, c’est une
histoire de financières et pétrole. À ce propos, je n’ai pas beaucoup vu
de salariés du secteur bancaire battre le pavé parisien pour réclamer
des augmentations de salaires. Je ne pense pas qu’ils soient
particulièrement mal lotis. N’oublions donc pas que les profits des
entreprises sont cycliques et qu’ils sont encore plus volatils que le
PIB. La hausse remarquable des profits du CAC 40 en 2004 ne présage en
rien une hausse similaire en 2005. Pour l’instant, les consensus (source
JCF) table sur une progression de 10% des bénéfices du CAC 40 en 2005.
Compte tenu des incertitudes économiques qui nous entourent, je serais
déjà très content qu’on arrive à ce résultat. |
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Jusqu’à
présent, nous avions en tête un scénario de soft landing qui verrait le
dollar baisser régulièrement le taux d’épargne remonter doucement, un peu à
‘image de ce que les États-Unis ont connu entre 1985 et1990. À l’époque
l’Europe et le reste du monde avaient encaissé sans broncher une
dépréciation de 50% du taux de change effectif du dollar. Ce scénario plutôt
rose s’est récemment obscurci. La chute du dollar s’est accentuée, contre
l’euro mais aussi et surtout contre les monnaies asiatiques qui étaient
resté jusque là en retrait. Le won coréen détient la palme de l’appréciation
vis-à-vis du dollar depuis un mois (+7%) mais le baht thaïlandais et le yen
se sont également appréciés davantage que l’euro vis-à-vis du dollar. La
question du dollar et du déficit courant revient maintenant sur toutes les
lèvres et l’on a pu lire des propos du président de la Banque centrale de
Chine stigmatisant le comportement des Américains. Vous nous direz que tout
ceci reste anecdotique. Bien sûr. Il n’empêche, il y a à peu près un an,
Robert Rubin, l’ancien secrétaire au Trésor de Bill Clinton, décrivait un
scénario noir fondé sur un décrochage violent du dollar, forçant la Fed a
remonter rapidement et fortement ses taux, le tout sur s’accompagnant d’une
forte volatilité sur les marchés de taux et d’actions. Ce scénario – qui
ressemble en bien des points à ce qui s’est passé durant l’été 1987 – nous
semble plus probable qu’il y un mois. Se concrétisera-t-il ? Nous n’en
savons rien. Même si ce scénario ne se réalise pas, son existence peut
affecter durablement le prix des actifs. Les investisseurs peuvent exiger
une prime accrue pour rémunérer un risque qu’ils perçoivent comme très
élevé. On retrouve là la problématique bien connue des cambistes, celle du “
peso problem ”. Dans les années 80 et 90, les forwards du peso étaient
complètement biaisés à cause du risque d’un effondrement de la monnaie
mexicaine. Nous pourrions avoir le même type de situation sur les actifs
U.S. La crainte d’une crise sur le dollar peut déboucher sur une hausse du
rendement anticipé des actifs libellés en dollar.
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